
Marché public : restriction de concurrence par objet de l’échange d’informations entre soumissionnaire et sous traitant
Publié le :
07/10/2025
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Source : www.courdecassation.frCass. com., 24 septembre 2025, n° 23-13.733
Dans son arrêt du 24 septembre 2025 publié au bulletin, la Chambre commerciale, de la Cour de cassation apporte des précisions sur la qualification de restriction de concurrence par objet d’une pratique d’ententes entre concurrents à l’occasion d’un appel d’offres : précisément, la pratique consiste à avoir trompé le maitre d’ouvrage sur l’intensité de la concurrence entre deux offres concurrentes, dont l'une proposait le recours à la sous-traitance du concurrent en cas d'attribution, qui se sont avérées avoir été élaborées en coordination par le biais d’échanges d’informations préalables au dépôt des offres, portant sur des éléments significatifs du marché (prix des équipements et matériels les plus importants et contenu de l’offre technique).
Contexte factuel et procédural
1. En avril 2014, Lille métropole communauté urbaine a lancé un appel d’offres pour la maintenance et la transformation de ses installations de gestion technique des bâtiments.
A la date de clôture de réception des offres, trois sociétés avaient candidaté : Neu, Santerne Tertiaire et Santé (ci-après, « Santerne ») et Eiffage Energie Tertiaire Nord.
L'offre de la société Santerne comportait deux options :
- l'une prévoyait la désinstallation du logiciel fermé existant puis l'utilisation d'un logiciel ouvert ;
- l'autre prévoyait le maintien du logiciel fermé avec le recours à un sous-traitant, la société Neu.
2. L’enquête réalisée par la DGCCRF dans le secteur de la gestion technique des bâtiments, avait donné lieu à une proposition de transaction (en application de l’article L. 464-9 alinéa 5 du Code de commerce), que la société Santerne avait refusé, entraînant la saisine de l’Autorité par le ministre chargé de l’Economie.
3. Par décision n° 21-D-05, l’Autorité de la concurrence a condamné solidairement à hauteur de 435 000 euros (sachant que l’amende transactionnelle refusée dont on ignore le montant était plafonnée à 150 000 euros), la société Santerne en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci en tant que sociétés mères, sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce, pour avoir participé à des échanges d'informations confidentielles avec Neu en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de Lille métropole communauté urbaine sur la période 2014-2018 (décision du 4 mars 2021, n° 21-D-05).
4. Cette décision a ensuite été partiellement réformée sur le montant de la sanction par la Cour d’appel de Paris le 9 mars 2023 (n° 21/06028).
5. Le 24 septembre 2025, la cour de cassation a rejeté les pourvois de la société Santerne et des sociétés du Groupe Vinci.
Apports juridiques de l'arrêt de la Cour de cassation
- Sur la régularité de la saisine de l’Autorité de la concurrence après l’échec d’une procédure de transaction proposée à une entreprise qui n’y était pas admissible
- Sur la grille d’analyse d’un objet anticoncurrentiel
7. Avec pédagogie, la Chambre commerciale rappelle que la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière stricte et « ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire ».
La jurisprudence de la CJUE a dégagé une grille d’analyse pour qualifier une telle restriction, qui suppose d’examiner tour à tour
1° la teneur de l'accord, de la décision ou de la pratique en cause, en vérifiant si ses caractéristiques permettant de la rattacher à une forme de coordination entre entreprises qui, par sa nature, serait nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence. Ce sera le cas si la pratique s’avère propre à aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause.
2° le contexte économique et juridique dans lequel ces pratiques s'insèrent, en tenant compte de la nature des biens ou des services affectés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en cause.
3° les buts objectifs que ces pratiques visent à atteindre à l’égard de la concurrence, indifféremment de la circonstance que les contrevenants n’avaient pas l'intention subjective d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence ou qu’ils poursuivaient certains objectifs légitimes.
- Sur l’exigence d’autonomie des opérateurs économiques, obligeant chaque soumissionnaire à un appel d’offres à élaborer son offre en toute indépendance
8. La Cour de cassation réaffirme un principe dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon lequel tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché intérieur (CJUE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, C-8/08).
Cette exigence d'autonomie s'oppose en théorie, à toute prise de contact entre opérateurs économiques de nature à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel ou à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même sur ce marché, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises ainsi que du volume dudit marché.
Les Hauts magistrats alertent quant à l’éventuelle atteinte au droit de la concurrence des échanges d’informations entre concurrents dans la mesure où ils atténuent, voire suppriment complètement, le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause.
- Sur le recours à la sous-traitance pour la passation de marchés publics
A ce titre, la Cour de justice de l’Union européenne considère comme contraire au principe de proportionnalité inhérent au droit de l’Union, une présomption irréfragable de collusion entre un donneur d’ordre et son sous-traitant (CJUE, 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF, C-425/14), ou entre des membres d’un groupement d’entreprises, en cas d'offres simultanées et concurrentes de certains membres (CJUE, arrêt du 23 décembre 2009, Serrantoni et Consorzio stabile edili, C-376/08, points 38 et 39). Chaque soumissionnaire composé d’une ou plusieurs entreprises doit avoir la possibilité de prouver que son offre a été formulée de manière indépendante et d’écarter le risque d’influence sur la concurrence.
10. Ici, la Chambre commerciale reprend la motivation de l’arrêt d’appel:
- Si le recours à la sous-traitance n’est pas illicite en soi et peut même avoir des effets pro-concurrentiels dans la mesure où il permet à une entreprise de s'adjoindre des compétences dont elle ne dispose pas en interne
- tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, une telle coopération fausse le libre jeu de la concurrence qui doit s'exercer sur le marché pertinent, chaque offre déposée devant être élaborée en toute indépendance.
- tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, une telle coopération fausse le libre jeu de la concurrence qui doit s'exercer sur le marché pertinent, chaque offre déposée devant être élaborée en toute indépendance.
11. En l’espèce, la société Santerne a pris connaissance, avant le dépôt des offres individuelles de chaque soumissionnaire, d’une part significative des éléments financiers (24%) et du mémoire technique de l’offre concurrente.
Ces informations, qui ont inévitablement servi à l'élaboration de l'offre de la société Santerne, allaient au-delà de celles nécessaires à la négociation de la sous-traitance, si bien que la Cour d’appel a pu à bon droit retenir que la pratique incriminée constituait une restriction de concurrence par objet.
Conclusion
Cette décision de la Cour de cassation apporte des clarifications importantes sur la frontière entre ce qui est autorisé ou non dans le contexte de passation de marchés publics lors de l’élaboration d’une offre avec recours à un sous-traitant lorsque celui-ci soumissionne aussi individuellement.
Surtout, elle consacre la restriction de concurrence par objet de la pratique d’échange d’informations entre un soumissionnaire et son sous-traitant préalablement au dépôt de leurs offres concurrentes.
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