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Standard de preuve renforcé du préjudice résultant d’une pratique anticoncurrentielle antérieure à la directive 2014/104/UE

Standard de preuve renforcé du préjudice résultant d’une pratique anticoncurrentielle antérieure à la directive 2014/104/UE

Auteurs : Sylvie Cholet, Avocate associée, et Cyane Venayre, stagiaire
Publié le : 28/11/2025 28 novembre nov. 11 2025

Tribunal des activités économiques (TAE) de Paris, 30 mai 2025 (RG n°2019049123) 
Cour d’appel de Paris, 4 juin 2025 (RG n°22/05059) 
 
Dans deux affaires ayant chacune donné lieu à condamnation d’une entente de prix par l’Autorité de la concurrence, les juridictions de fond ont récemment confirmé une tendance jurisprudentielle nette en faveur d’un standard de preuve plus exigeant concernant la démonstration du préjudice, en matière d’actions en follow-on portant sur des pratiques anticoncurrentielles horizontales antérieures à la transposition de la directive 2014/104/UE qui ne bénéficient pas de la présomption réfragable de préjudice. 
 
Les deux décisions commentées ont été rendues respectivement par  
 
  • le tribunal des activités économiques (TAE) de Paris le 30 mai 2025 (RG n°2019049123) dans le cadre de l’action indemnitaire de ITM Alimentaire International contre L’Oréal France suite à la décision n°14-D-19 de l’ADLC initiée par une demande de clémence 
  • la cour d’appel de Paris le 4 juin 2025 (RG n°22/05059) dans le cadre de l’action indemnitaire de sociétés de pose de revêtement de sols contre Tarkett France suite à la décision n° 17-D-20 de l’ADLC également initiée par une demande de clémence. 
 
Elles s’inscrivent dans la continuité de l’arrêt du 26 février 2025 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (n°23-18.599) ayant affirmé que sans préjudice de la présomption réfragable, prévue à l'article L. 481-7 du code de commerce, entré en vigueur le 11 mars 2017, la partie qui soutient qu'une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice, doit en rapporter la preuve.” 
 
La faute est établie, mais l’existence du préjudice ne se présume pas 
 
Dans les deux affaires (ITM Alimentaire International c/ L’Oréal France et les sociétés de pose de revêtements de sols c/ Tarkett France), la preuve de la faute des sociétés défenderesses ne pose aucune difficulté. En effet, les décisions de l’Autorité de la concurrence (n°14-D-19 et n°17-D-20), désormais définitives, ont une force probante irréfragable quant à la réalité des pratiques anticoncurrentielles. 
 
Toutefois, les pratiques sanctionnées étant antérieures à l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104/UE, les demanderesses ne peuvent se prévaloir de la présomption légale de préjudice prévue par ces dispositions. Ainsi, les juges du fond rappellent de manière ferme que : 
 
  • Le préjudice ne se présume pas pour les pratiques anticoncurrentielles horizontales antérieures à la directive 2014/104/UE ; 
  • Il appartient exclusivement au demandeur d’en rapporter la preuve, tant dans son principe que dans son quantum. 
 
La démonstration du préjudice dans son principe, reposant sur une analyse des caractéristiques et du périmètre de la faute 
 
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 juin 2025 énonce ainsi que “la détermination du principe et de la mesure du préjudice commande d'identifier précisément les caractéristiques et le périmètre de la faute imputable” à la société poursuivie (§69).  
 
Toute la sévérité du standard probatoire prend ici son sens, puisque les juges du fond ne sont pas tenus aux méthodes issues du cadre européen dès lors que les faits sont antérieurs à la date limite de transposition de la directive 2014/104/UE, le 27/12/2016. 
 
Dans l’affaire ITM Alimentaire International, et bien qu'en présence d'un cartel de prix, le TAE de Paris rejette la demande indemnitaire après avoir observé que s’agissant d’une infraction par objet, l’Autorité n’avait pas eu besoin d'en démontrer les effets notamment sur les prix. 
 
Dans l’affaire Tarkett, la cour d’appel de Paris recherche un faisceau d'indices graves et concordants. Pour ce faire, elle s'appuie sur les analyses fournies développées par l’Autorité de la concurrence lui ayant permis de retenir que la pratique avait tout à la fois un objet et un effet anticoncurrentiel (§§70-74). La Cour en conclut que “les éléments constitutifs de la faute imputable à la SAS Tarkett France comprennent la fixation de hausses générales de prix et la fixation corrélative de prix planchers comprenant la prise en compte de l'augmentation des prix de la matière première, indice sérieux de l'existence d'un surcoût constitutif du préjudice allégué par les entreprises de pose.” (§75). Mais s’agissant seulement d’un premier indice, la Cour ne s’arrête pas là dans la démonstration, et invoque d’autres éléments tels des statistiques, le caractère particulièrement structuré et durable de l’entente, la part de marché des participants, le constat d’une baisse des prix après la fin de l’infraction, pour en conclure que “ces éléments combinés suffisent à établir le principe d'un dommage subi par les entreprises de pose consistant en un surcoût, dommage en lien direct avec les pratiques mises en oeuvre en exécution de l'entente sanctionnée.” (§79) 
 
La difficile démonstration du quantum 
 
Une fois le préjudice démontré dans son existence, le quantum doit être évalué en fonction de ce qu’apporte le demandeur, sur qui pèse la charge de la preuve en l’absence présomption de préjudice.  

Dans son jugement du 30 mai 2025, le TAE a analysé les démonstrations économiques de perte de marge arrière et avant produites par ITM AI, reposant sur une approche contrefactuelle dont il a jugé toutefois qu’elles ne suffisaient pas à démontrer de manière convaincante le préjudice l'amenant a rejeter en conséquence la demande indemnitaire. 
 
La Cour d’appel de Paris, quant à elle, a rappelé que le surcoût traduisant le préjudice doit être limité à la part exclusivement causée par l’entente, soulignant ainsi une difficulté dans la démonstration du quantum du préjudice. 
 
A ce titre, l'arrêt du 4 juin 2025 rappelle qu'il est de l’office du juge, lorsqu’il a constaté l’existence d’un préjudice, d’en évaluer le quantum le cas échéant au moyen de mesures d’instructions judiciaires, lorsque l'évaluation se confronte à des difficultés liées à la difficulté d’accès à la preuve, et à la complexité des analyses utiles à la résolution du litige. Dans ce cas, l'évaluation judiciaire ne pallie pas la carence probatoire des entreprises  (§84). 
 
Conclusion 
 
L’évolution du contentieux indemnitaire post entente montre un standard probatoire exigeant, qui tranche avec la présomption légale dont bénéficient les actions placées sous le régime de la directive dommages et l’article L481-7 du code de commerce. De ce fait, seules les démonstrations économiques rigoureuses et solidement étayées peuvent ainsi prospérer. 
 

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